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Persistances rétiniennes...
12 septembre 2006

Le syndrome Godzilla - Farice Colin

Elements additionnels

J'essaye d'en apprendre plus sur le dénommé Godzilla. Certains types de ma classe semblent l'avoir déjà vu, une fille hoche la tête à son évocation, mais personne ne peut donner de détails concrets.
Mes informations se résument à une courte liste :

Godzilla est arrivé en même temps que moi (possible)
Godzilla n'est pas "populaire" (I'm the party star / I'm popular / I've got my own car / I'll never get caught / I'm popular, etc.)
Godzilla est transparent, amorphe, foncièrement inoffensif, du moins n'a-t-il jamais fait de mal à personne, enfin, ça dépend ce qu'on appelle faire du mal, disons que les preuves sont minces, que la présomption d'innoncence est préservée.
Godzilla est jeune (supposition)
Godzilla est cinglé
Godzilla est riche (supposition)
Godzilla ne parle pas, ne bouge pas
Godzilla possède une villa sur la colline face à la mer (mon fantasme)
Godzilla vit seul : une certitude

Je sais que je n'apprendrais rien de plus, pas ici, pas de cette façon? Ce soir-là en descendant du car, je devrai tenter ma chance, encore.

Jeudi

Les deux types de ma classe qui sont descendus en même temps que moi et qui m'ont proposé de réviser chez l'un d'eux le devoir de maths du lendemain en sont pour leurs frais. Désolé, je dis. J'ai une course à faire.
Ils me regardent comme si j'arrivais directement de Mars. Bon, ben à demain - et je les plante là, traversant l'avenue.
Je m'assieds sur le banc et pose mon sac à mes pieds.
-Je m'appelle Daniel.
Nada.
-Je suis désolé pour hier. J'ai été chiant avec mes questions. J'aime pas trop qu'on traite mes mangas comme ça, vous comprenez? Je les ais fait venir du Japon, ça coûte un pâquet de fric ces machins.
Silence.
-J'ai été voir les sites Godzilla. Il en existe une multitude. Je ne pensais pas que ça passionnait autant de gens.
-Qu'en as-tu conclu?
Je sursaute en entendant sa voix. Je passe ma langue sur mes lèvres.
-Que... Qu'il doit y avoir là-dedans quelque chose qu'on ne voit pas au premeir abord.
-Quelle pertinence.
Sur mon visage, l'haleine salée du large ; je me mets, moi aussi, à fixer l'océan.
-J'ai envie de vous connaîte, je dis.
-Je comprends.
-J'ai l'impression que vous le faites exprès. Ce sachet sur votre tête, votre immobilité, cette façon que vous avez de ne pas répondre aux questions.
-Tu es la première personne à m'en poser.
-C'est parce que les gens sont débiles.
-Ce n'est pas aussi simple.
J'ouvre mon sac, en sors une barre chocolatée.
-Vous en voulez?
-Non merci.
-Vous ne mangez jamais?
-Non.
-Pourquoi?
-Pas faim.
Je l'observe de la tête aux pieds. Jusqu'à présent, j'avais surtout regardé la tête -enfin, ce qui en faisait office. Maintenant que je le détaille, je me rends compte à quel point il est maigre. Presque squelettique.
Il porte un jean serré noir et une chemise à col serré, noire elle aussi. Il ne frissonne pas, malgré les bourrasques. Ses mains sont des mains de pianiste : délicates et nerveuses. Les veines ressortent en un fragile réseau bleu nuit.
-Vous habitez seul?
Il ne daigne pas répondre. Pourtant, j'ai l'impression que la donne a changé par rapport à hier. Il n'est plus en colère.
-Faut me dire s'il y a des sujets tabous.
-Les questions, tu devrais te les poser à toi-même.
-Hein?
-Mon régime alimentaire. Où j'habite. Tu demande ça pour parler, pour établir un contact et c'est fort aimable de ta part. Mais où crois-tu que ça te mènera?
Je ne saisi pas très bien où il veut en venir.
-Pourquoi te ne me questionnes pas sur ce qui t'intéresse vraiment?
-Parce que je l'ai déjà fait? Je vous ais demandé pourquoi vous gardiez ce sachet sur votre tête.
-Ce n'est pas ce que tu veux savoir.
-Non?
-Non : ce qui t'intéresse, c'est à quoi je ressemble.
-C'est sans doute vrai.
-C'est certain. Et je t'ais déjà répondu. Je suis Godzilla. Je suis un monstre. Je fais peur aux gens, cest mon job.
-Vous ne me faites pas peur.
-Tu n'es pas les gens.
Je mords dans ma barre chocolatée.
-OK, je dis, j'ai compris. Racontez-moi. J'ai envie de savoir pourquoi vous faites peur.
-Oh, oh.
-Je ne plaisante pas.
-ça risque de te mener assez loin, Daniel.
Je frémis en l'entendant prononcer mon prénom. J'engloutis le reste de ma barre et je froisse le papier.
-Comment ça?
-Les histoires de monstres, ça fait rire tout le monde au cinéma. Mais dans les faits ça n'a rien de drôle. La vie de Godzilla n'a rien de drôle. Si les gens pensaient à ce que ça signifie vraiment une vie pareille, ils se trouveraient vite confrontés à leurs angoisses secrètes, leurs doutes, leurs échecs par millions. Le monde dans lequel ils vivent, ils le verraient tel qu'il est. Personne n'aime ça.
-Je...
-Il y a une règle, souffle-t-il. Une règle unique. Tu ne parle pas, tu ne pose pas de questions. Tu es au cinéma : discrétion dans les rangs.
-Entendu.
-Tout ce que tu dois savoir est dans le film. N'essaie pas d'apprendre des secrets sur moi, ce que les gens disent - ne leur demande pas ce qu'ils savent : je suis le narrateur premier.
-Je...
-ça ne se discute pas. Si ça ne te plaît pas, le film s'arrête là.
-Compris.
-Bien.
Il retombe dans son mutisme. Je vois sa main gauche trembler. Ou bien je l'imagine, ça aussi?
Pour aujourd'hui, l'entretien est terminé.
-Je suis trop fatigué, dit Godzilla.
Je remballe mes petites affaires.
-Demain même heure?

Un rêve

Je suis à Tokyo.
J'habite un immeuble isolé, en périphérie, face à un parc, une pelouse, un toboggan, un manège. Il y a des jouets cassés éparpillés dans l'hebre. Il y a des traces de brûlure sur le gazon. Je me retourne. Notre immeuble fait cent étages, mille peut-être.
Je dis "notre" mais je ne sais pas qui est "nous". Je n'ai pas de famille. Mon père est au travail, très loin ; ma mère a disparu. Je suis venu seul ici, ou alors avec des fantômes, des gens qui passent, qui portent des plats de nouilles sautées, des caisses d'ordinateurs en pièces détachées.
Il y a quelqu'un sous notre immeuble. Il y a quelqu'un à l'intérieur de notre immeuble. Au sommet, juste au-dessus de mon balcon, palpite un gigantesque oeil verdâtre.
Godzilla : cahé, derrière, à l'intérieur, en surimpression.
Il attend.
Bientôt je le sais, des msontres vont venir. ils auront trois têtes, ils seront métalliques, ils arriveront de l'espace, ce seront des insectes, des oiseaux difformes, des être sortis de la mer. Ils seront là pour se battre.
Les gens s'enfuiront, courront se réfugier dans des abris atomiques mais ils trouveront les portes fermées, ils perdront leurs clés dans des bouches d'égout. Ils agiteront des pistolets déchargés, il y aura des lance-roquettes usés, des batteries de mitrailleuses sans munition, des chars immobiles. Ils crieront, ils étreindront leurs enfants, ils se serreront les uns contre les autres et ce sera trop tard.
Sur les façades du centre-ville, des enseignes clignoteront, figurant des scores de jeux vidéos, des chiffres frénétiques, des comptes à rebours digitaux. On entendra des rugissements. La terre se mettra à vibrer. Les océans se soulèveront. Des éclairs tailaderont l'azur, une vague se soulèvera au-dessus de Tokyo, six cents mètres.
C'est ce que je pense, c'est ce que je pressens.
Mais je sais aussi que tout ceci n'arrivera que si je le veux bien. Je sais que je peux vaporiser les ennemis d'un claquement de doigts. Je sais que Godzilla peut n'être qu'un gros lézard inoffensif, qu'un monstre pacifique.
Le ciel est orange. Le ciel est violet. Les avions filent sous les cirrus.
Je me précipite dans le hall d'entrée. L'ascenceur est un panne. Je prends l'escalier. Je monte les marches autre à quatre. Au troisième étage, je suis déjà essoufflés. Je continue. Mes poumons sont en feu. Je crache des flammes. Des voisins m'observent, étonnés.
Je vole presque.
J'ai des pouvoirs. Je fais ce que je veux.
Je souffre mais ça en vaut la peine : je me sens puissant : invincible.
Je comprends soudain (une pensée qui me semblera aberrante au réveil, et dont je peinerai en vain à retrouver le sens profond) que pour devenir le plus fort, pour faire peur aux gens, pour que les gens vous respectent & vous vénèrent & vous fuient, il faut avoir beaucoup souffert, être parti sur des chemins brûlants - être revenu.
J4arrive au centième étage.
Je défonce la porte. Je n'ai pas de père ; ma mère n'est plus là.
Je rentre dans ma chambre. Tout est dévasté comme après une tempête.
Je m'assieds sur mon lit. J'attends que le monde s'écroule. Je regarde ma montre. "Père, ne vois-tu pas que je brûle?" Comprenez ça : le rêves est construit pour éviter de se réveiller mais, dans le rêve, ce que le rêveur rencontre est si réel qu'il se réveille. Ma montre sonne et son bip-bip horripilant se confond avec celui de mon réveil digital, qui me sort du sommeil pour de bon.

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