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Persistances rétiniennes...
31 juillet 2006

Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline

- Au moment où j'ouvris mon asile, me confiait-il un jour, épanchant ses regrets, c'était juste avant l'Exposition, Ferdinand, la grande... Nous n'étions, nousne formions, nous autres aliénistes, qu'un nombre très limité de praticiens et bien moins curieux et moins dépravés qu'aujourd'hui, je vous prie de le croire !... Nul n'essayait alors parmi nous d'être aussi fou que le client... La mode n'était pas encore venue de délirer sous prétexte de mieux guérir, mode obscène remarquez-le, comme presque tout ce qui nous vient de l'étranger...

"Au temps de mes débuts les médecins français, Ferdinand, se respectaient encore ! Ils ne se croyaient pas contraints de battre la campagne en même temps que leurs malades... Histoire de se mettre au diapason sans doute ?... Que sais-je moi ? De leur faire plaisir ! Où cela nous conduira-t-il ?... Je vous le demande ?... A force d'être plus astucieux, plus morbides, plus pervers que les persécutés les plus détraqués de nos asiles, de nous vautrer avec une sorte de nouvel orgueil fangeux dans toutes les insanités qu'ils nous présentent, o allons-nous ?... Êtes-vous en mesure Ferdinand de me rassurer sur le sort de notre raison ?... Et même du simple bon sens ? Rien ! C'est à prévoir. Absolument rien ! Je puis vous le prédire... C'est évident...

"D'abord Ferdinand, tout n'arrive-t-il pas à se valoir en face d'une intelligence réellement moderne ? Plus de blanc ! Plus de noir non plus ! Tout s'effiloche !... C'est le nouveau genre ! C'est la mode ! Pourquoi dès lors ne pas devenir fous nous-mêmes ?... Tout de suite ! Pour commencer ! Et nous en vanter encore ! Proclamer la grande pagaye spirituelle ! Nous faire de la réclame de notre démence ! Qui peut nous retenir ? Je vous le demande Ferdinand ? Quelques suprêmes et superflus scrupules humains ?... Quelles insipides timidités encore ? Hein ?... Tenez, il m'arrive, Ferdinand, quand j'écoute certains de nos confrères et ceux-ci remarquez-le, parmi les plus estimés, les plus recherchés par la clientèle et les académies, de me demander où ils nous mènent !... C'est infernal en vérité ! Ces forcenés me déroutent, m'angoissent, me diabolisent, et surtout me dégoûtent ! Rien que les entendre nous rapporter au cours d'un de ces congrès modernes les résultats de leurs recherches familières, je suis pris de blême panique, Ferdinand ! Ma raison me trahit rien qu'à les écouter... Possédés, vicieux, captieux et retors, ces favoris de la psychiatrie récente, à coups d'analyses superconscientes, nous précipitent aux abîmes... Tout simplement aux abîmes ! Un matin, si vous ne réagissez pas, Ferdinand vous les jeunes, nous allons passer, comprenez-moi bien, passer ! A force de nous étirer, de nous sublimer, de nous tracasser l'entendement, de l'autre côté de l'intelligence, du côté infernal, celui-là, du côté dont on ne revient pas !... D'ailleurs, on dirait qu'ils y sont enfermés ces supermalins, dans la cave aux damnés, à force de se masturber la jugeote  jour après nuit !

Je dis bien jour et nuit car vous savez bien Ferdinand qu'ils n'arrêtent même plus la nuit de forniquer à longueur de rêves ces salauds-là !... C'est tout dire ! Et je te creuse ! Et je te la dilate la jugeote ! Et je te la tyrannise !... Et ce n'est plus, autour d'eux, qu'une ragouillasse dégueulasse de débris organiques, une marmelade de symptômes de délires en compote qui leur suintent et leur dégoulinent de partout... On en a plein les mains de ce qui reste de l'esprit, on en est tout englué, grotesque, méprisant, puant. Tout va s'écrouler, Ferdinand, tout s'écroule, je vous le prédis, moi le vieux Baryton, et pour dans pas longtemps encore !... Et vous verrez cela vous Ferdinand, l'immense débandade ! Parce que vous êtes jeune encore ! Vous la verrez !... Ah ! je vous en promets des réjouissances ! Vous y passerez tous chez le voisin ! D'un bon coup de délire en plus ! Un de trop ! Et Vrroum ! En avant chez le Fou ! Enfin ! Vous serez libéréz comme vous dites ! Ca vous a trop tentés depuis trop longtemps ! Pour une audace, ça en sera une d'audace ! Mais quand vous y serez chez le Fou petits amis ! je vous assure que vous y resterez !

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Commentaires
N
J'avoue que j'attends Childéric avec forte impatience là aussi sur ce domaine...<br /> <br /> Nouilles / Nio Lynes
P
Là tu t'attaques à forte partie!<br /> Quel texte choisir? <br /> Difficile, tant l'écriture est définitive!
Persistances rétiniennes...
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