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Persistances rétiniennes...
11 mars 2006

La vérité avant dernière - Philip.K.Dick


" Elle examinait l' authentique buste d' Einstein, déterré il y avait longtemps, qui ornait la niche séparant les étagères à livres du mur ouest, là où Joseph Adams rangeait la collection de textes de référence sur les spots publicitaires TV du grand XXe siècle d' antan, en particulier les créations inspirées de Stan Freberg concernant la barre chocolaté Mars.

_ Plutôt minable comme métaphore, murmura-t-elle. Le villageois au châtelain... Une allusion à la période médiévale. Tu as beau être un pro, je parie que tu n' avais pas pigé.

Elle fit signe à un solplomb qui à sa demande s' était présenté à la porte de la bibliothèque.

_ Allez chercher mon manteau et amenez mon floppeur à la porte d' entrée.

Elle revint à Joe :

_ Je retourne à ma villa.

Il ne répondit pas et elle poursuivit :

_ Joe, tente le coup, essaie de pondre ton discours sans cet auxiliaire; avec tes mots à toi. ça t' évitera de râler contre les rats bienfaiteurs de l' humanité.

Honnêtement, pensa-t-il, je ne crois pas que j' y arriverais, pas sans cette machine; je dépends d' elle maintenant.

Dehors, le brouillard avait remporté la victoire; un bref coup d' oeil latéral lui indiqua qu'il baignait le monde, de l' autre côté de la fenêtre. Bon, se dit-il, ça nous a au moins évité un autre de ces couchers de soleil avec particules radioactives en suspension pour l' éternité.

_ Votre floppeur, Miss Hackett, annonça le solplomb, vous attend à la porte, et l' on m' informe par télécommande que votre chauffeur catégorie II tient la porte ouverte à votre intention. D' autre part, en raison des brumes vespérales, un des membres du personnel de mr Adams diffusera autour de vous de l' air chaud jusqu' à ce que vous soyez confortablement installée à l' intérieur.

_ Grand Dieu ! fit Joseph Adams en secouant la tête.

_ C' est toi qui l'as éduqué, chéri, dit Colleen. C' est de toi qu' il tient son jargon ampoulé.

_ C' est parce que j' aime bien le cérémonial et le bon goût, répondit-il amèrement.

Il se tourna vers elle et continua d' un ton pressant :

_ Brose m'a précisé, dans un mémo qui est arrivé à l' Agence directement de son bureau à Genève, qu'il fallait pour ce discours prendre l' écureuil comme entité opérationnelle. Mais que raconter à leur sujet qui n' ait déjà été dit ? Ils mettent leurs provisions de côté, ils sont frugaux. Nous le savons. Mais font-ils autre chose de bon à ta connaissance, n' importe quoi dont on puisse tirer une morale ?
Et d' ailleurs, pensa-t-il, ils sont tous morts. Ils n' existent plus en tant que forme de vie. Mais nous continuons à prôner leurs vertus... Après avoir exterminé leur race.

Avec une vigueur délibérée, il composé sur le clavier du verbaliseur deux nouvelles unités sémantiques. Ecureuil. Et... génocide.

La machine au bout d' un moment déclara : "il m' est arrivé la plus drôle des choses hier en allant à la banque. Je traversais Central Park, et savez-vous ce que..."

Avec un regard incrédule en direction du verbaliseur, Joe déclara :

_ Vous avez traversé Central Park hier ? Il y a quarante ans que Central Park a disparu.

_ Joe, voyons, ce n' est qu' une machine.

Ayant enfilé son manteau, Colleen venait l' embrasser avant de partir.

_ Mais enfin, ce bidule est dément, protesta-t-il. Et il parle d' une chose drôle alors que je lui ai donné le mot génocide. Est-ce que tu...

_ Il doit avoir des réminiscences, dit Colleen en guise d' explication.

Elle se pencha, lui toucha le visage du bout des doigts et le fixa dans les yeux.

_ Je t' aime, fit-elle, mais tu ne vas pas faire de vieux os; tu te tues au travail. De mon bureau à l' Agence j' enverrai à Brose une demande pour qu' il t' accorde quinze jours de congé. J' ai un cadeau pour toi, quelque chose qu' un de mes solplombs a deterré près de ma villa; c'est à un emplacement qui est légalement sur le territoire de mon domaine, à la suite de ce petit échange que mes solplombs ont récemment opéré avec ceux de mon voisin du nord.

_ Un livre.

Il sentait palpiter en lui une étincelle.

_ Un spécimen de choix, le véritable article d' avant guerre, pas une photocopie. Et tu sais ce que c'est !

_ Alice au pays des merveilles.

Il avait tellement entendu parler de celui-là qu' il avait toujours voulu l' avoir en sa possession pour le lire.

_ Mieux que ça. Un de ces livres marants des années 1960... Et en bon état; avec les deux moitiés de la couverture intacte. Un livre destiné à s' aider soi-même :
Comment je me suis guéri les nerfs en buvant du jus d' oignon ou un truc de ce genre. Comment j' ai gagné un million de dollars en menant une double vie et demie pour le FBI. Ou encore...

Il l' interrompit.

_ Colleen, un jour j' ai regardé par la fenêtre et j' ai vu un écureuil.

_ Non, fit-elle en le dévisageant.

_ La queue; on ne peut pas s'y tromper. Elle est grosse et ronde, comme un goupillon. Et ils sautent comme ça.

Il faisait de la main un mouvement en forme d' arceau, essayant de lui montrer et de se le remémorer.

_ J' ai crié; j' ai dit à quatre de mes solplombs d' aller voir.

Il eut un haussement d' épaules.

_ Mais ils sont revenus en disant  : "Il n' y a aucune créature pareille dehors, seigneur" ou quelque chose de ce genre.

Il garda un instant le silence. Bien entendu, il s' était agi d' une hallucination hypnagogique, engendrée par le manque de sommeil et l' excès de boisson. Il le savait. Les solplombs aussi. Et maintenant Colleen le savait à son tour.

_ Mais quand même, si ç' avait été vrai, répéta-t-il.

_ Ecris, en te servant de tes mots, de ce que tu as ressenti. A la main, sur du papier... Pas en dictant dans un micro. Raconte ce que ça t' aurait fait de trouver un écureuil vivant, en bonne santé."


dickins


Extrait de la 4e de couverture : "De cyniques dirigeants mondiaux maintiennent les populations entassées dans des abris souterrains alors que la guerre est finie depuis longtemps, préférant continuer à jouir de leurs immenses domaines seigneuriaux plutôt que de révéler la vérité. C' est dans ce roman que Dick a le plus finement analysé les duperies élaborées par les gouvernements. Ce thème subversif, de la falsification à grande échelle est à mettre en parallèle avec le 1984 d' Orwell." (Lawrence Sukin)

Dans ce livre, on retrouve certaines thématiques chères à Dick, notamment la disparition d' une vie animale et la profonde mélancolie s' en ressentant (à mettre en parallèle avec "les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" alias "Blade Runner" du même auteur), mais l' auteur génialement paranoïaque en profite aussi pour éluder une supercherie à grande échelle. Plus que la disparition du réel propre à ses autres livres ("Ubik", "le dieu venu du centaure"...), cette fois Dick s' interroge sur un réel à peine caché dont le sens aurait profondément changé. Les nantis vivent au dessus avec des territoires de dizaines de milliers d' hectares sur des terres parfois encore brûlées tandis que le reste de la population continue encore d' être entretenue dans une fausse guerre finie depuis longtemps en s' entassant plusieurs kilomètres sous le sol. De temps en temps, pour alimenter leur croyance, on leur filme des (faux et en maquettes !) bâtiments détruits par lasers et bombes, ce qui n'est pas sans rappeler la guerre du Golfe et la manipulation des médias américains.
Dick copieur ? Même pas vrai car son livre génial a été écrit en 1964 ! Alors quand la réalité rejoint la science fiction...

Un jour, un habitant du bunker souterrain est élu et chargé de force, de remonter à la surface. Et là....


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Commentaires
R
En lisant je viens de me rappeler que tu parles de Dick sur le forum, et qu'au moins un des livres m'avait plus. Vais aller zieuter ça.<br /> Par contre à la fnac de Tours ils ont pas Cybione...
Persistances rétiniennes...
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